Il y a bien longtemps. Mes ancêtres étaient, à l'origine, des pasteurs semi-nomades qui vivaient, il y a longtemps de cela, dans le Hodna ; cétait avant l’arrivée des Français en Algérie. Leur tribu était celle des Ouled Madhi, et le clan auquel ils appartenaient était celui des Mérachda, les descendants de Morched, du nom de notre aïeul qui en fut le fondateur ...
On disait que les Ouled Madhi élevaient des chevaux, en grand nombre et parmi les plus beaux de cette région au sud des Hauts Plateaux, et qu’ils possédaient aussi des centaines de chameaux et des troupeaux de moutons par milliers. Les jeunes gens de la tribu gardaient les troupeaux sur les terres de leurs pères et au cours de leurs transhumances ; ils passaient le plus clair de leur temps à cheval. On les appelait : rayan el-kheil, c’est-à-dire « les bergers à cheval ». C’était, sans aucun doute, à eux que les femmes de leur tribu rêvaient, et c’était à eux quelles adressaient ces chants merveilleux qu’on peut entendre aujourd’hui encore à travers les Hautes Plaines.
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1870 : Insurrection et pacification. Les discussions allaient bon train des plaines de Sétif jusqu’aux contreforts des Babors. L’inquiétude grandissait, et les bruits annoncés d’une grande insurrection parcouraient la steppe. Saad, qui connaissait ses frères, savait que si une telle insurrection se produisait, rien ne pourrait l’arrêter, tant leurs frustrations et leur humiliation étaient grandes. Il la craignait surtout parce qu’il pressentait, au fond de lui-même, que les Roumis étaient beaucoup trop puissants et qu’ils allaient saisir cette occasion pour se livrer à de nouvelles tueries, de nouvelles confiscations de terres. Mais personne ne peut arrêter les évènements que Dieu a prévus, et Saad pria Allah de protéger ses frères musulmans.
A son retour à Oued Cheir, trois ans après, il entendit le récit de l’insurrection et de la répression qui s’en suivit, il découvrit la mise sous séquestre des terres des Ameur. Plus personne ne parlait de résistance à l’occupant. L’Européen se promenait désormais en toute sécurité dans le pays, et tout le monde savait que s’attaquer à un Kouloun [1] exposait immédiatement toute la tribu sur les terres desquelles l’incident s’était passé à la sortie des gendarmes, à de sévères interrogatoires, voire à des punitions collectives. Le pays était pacifié.
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1900 - Les colons. Chaque jour, au petit matin, après la prière de l’aube, El Hadj Saad empruntait le chemin étroit qui menait à l’école. De là, il avait loisir de contempler, disséminés dans la vallée, les fermes des colons avec leurs toits de tuiles rouges, entourées de haies d’épineux et d’arbustes taillés. Il distinguait nettement les cours intérieures des fermes, encombrées de charrues, de charrettes, de tombereaux, de brancards d’attelages à peine rangés ; il y voyait régner une activité permanente quelque soit le moment de la journée ou de l’année.
Les colons ne s’arrêtaient jamais de travailler. Ils craignaient les fortes pluies précoces, qui rendaient les champs boueux et les semailles impossibles, de même que les terribles tempêtes de sirocco qui desséchaient les épis de blé et en dispersaient les beaux grains dorés dans la poussière du sol; Alors, pour vaincre le cycle des saisons, pour prendre de vitesse la pluie et le sirocco, aux moments propices, ils embauchaient des ouvriers saisonniers et ils doublaient leur prime pour les faire travailler sans relâche pendant des semaines, de l’aube au coucher du soleil. En dehors de ces périodes d’activité intense, ils entreprenaient tant d’autres tâches qu’ils semblaient ne jamais en finir : du foin à rentrer, des chevaux à ferrer, des écuries à nettoyer, du fumier à épandre, une clôture à consolider, un hangar à agrandir, un puits à creuser…La diversité de leurs activités, l’énergie que ces nouveaux occupants déployaient pour travailler la terre et arracher les richesses à ses entrailles leur donnaient une dimension gigantesque et presque surnaturelle, reconnaissait Saad. Il les admirait, et en même temps il les enviait, et il ne s’expliquait pas comment ils réussissaient à faire donner à la terre toutes ces abondantes récoltes, alors que c’étaient des Gouer [2] : pourquoi Dieu leur avait-il donné tant de puissance ?
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La guerre 14-18. De retour [de permission] dans les tranchées, mon père se battit autour des forts de Vaux et de Douaumont : des déluges de feu – ses doigts tremblaient et se crispaient de peur rétrospective lorsqu’il m’en parlait. Il avait retrouvé avec une joie partagée son ami le typographe de Saint-Brieuc ; mais un matin, ce dernier partit avec sa compagnie à l’assaut des lignes allemandes et n’en revint pas. Son régiment changea de secteur, et il fut gravement blessé, en 1917, au cours d’un énième assaut pour s’emparer du Chemin des Dames.
C’était l’été. Avec sa compagnie il s’était lancé à l’assaut, un matin à l’aube, il faisait même encore nuit. L’artillerie allemande ripostait à l’aveuglette ignorant d’où partait l’attaque. Tout d’un coup, il eut l’impression qu’on lui arrachait la tête : il n’avait rien entendu, rien vu si ce n’est une lumière aveuglante accompagnant le choc à la face. Lorsqu’il reprit connaissance, il était sur le dos, face au ciel où les dernières étoiles traînaient encore, il avait atrocement mal à la mâchoire et râlait en se vidant de son sang. Les bras levés ostensiblement en direction du ciel, l’index dirigé vers le Créateur, il l’appelait à son secours : « Il n’y a de Dieu qu’Allah et notre Seigneur Mohamed est son prophète. ». Quelle âme chrétienne aurait pu penser qu’un jour le nom d’Allah retentirait dans la vallée de l’Aisne pour venir au secours d’un soldat de la France ! ...
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1940 - Enfance dans une famille polygame. J’ai grandi en même temps que quatre autres frères et deux sœurs, « demi » ou « entiers », avec une différence d’âge de cinq ans entre l’aîné et le dernier d’entre nous. Nous étions la tranche d’âge du milieu : les précédents avaient commencé à prendre leur envol et les petits derniers étaient encore dans les couches. Lorsqu’elles vaquaient aux travaux ménagers, chacune son tour, chacune son jour, nos deux mères devaient prendre en charge, pour les repas et les activités communes, l’ensemble des enfants. Nous ne formions donc pas deux familles distinctes vivant sous un même toit, mais plutôt une petite tribu dont la marmaille avait en commun le père, l’espace de vie et les jeux ...
Les enfants sont de bons observateurs. D’instinct, nous savions ce qu’il était possible d’obtenir de notre propre mère ou de celle qui faisait à un instant donné office de maitresse de maison. Personne ne nous l’avait dit formellement, mais nous devions obéissance et respect aux deux, ce qui induisait que l’une comme l’autre avaient le droit de nous récompenser ou de nous punir lorsqu’elles le jugeaient utile ; en échange, elles se devaient d’être de la plus totale équité entre les enfants dont elles avaient la charge. La loi fondamentale d’une famille polygame repose sur ce principe infaillible de non-discrimination réciproque entre les enfants et les parents : sa violation conduit immanquablement au désordre et à la désobéissance ; de plus, elle est formellement condamnée par Dieu et la société.
Je ne me rappelle pas avoir souffert de discrimination en matière d’alimentation, d’habillement, de récompenses ou de punitions…. Mais il y a aussi le reste, c’est-à-dire tout ce qui fait le bonheur d’un enfant : un câlin, un sourire…que seule sa propre mère est capable de lui donner. Il est difficile à une mère de faire ce petit geste tendre, de donner cette petite douceur à son enfant lorsque ceux de l’autre mère la regardent, sans qu’ils se sentent exclus voire jaloux ! Je me demande aujourd’hui si M’ma et Fatima n’étaient pas tellement stressées par les effets de la polygamie qu’elles n’avaient pas la sérénité nécessaire pour exprimer à leurs enfants toute la tendresse qu’elles auraient souhaiter leur donner.
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1946. L’école primaire. A l’école primaire « européenne » que je fréquentais, je retrouvais tous les matins avec un délicieux bonheur mes camarades de classe et les maîtres qui avaient la charge de nous instruire : M. Lebrun pour les grandes classes, Mme Lebrun pour les tout-petits et une très jeune institutrice, Mlle Josiane Faure, pour le cours élémentaire. M. Lebrun était originaire du Jura, un massif montagneux couvert de neige tout l’hiver, nous avait-il expliqué, de la région de Saint-Claude, pays de la bruyère et de la fabrication des pipes. A la simple évocation de ces mots, je revois aujourd’hui encore son visage avenant, sa haute silhouette serrée dans sa longue blouse grise ...
Fils et petit-fils d’instituteur, il nous parlait du difficile travail des ouvriers de France dans les mines et dans les usines, et pour illustrer ses propos, il avait accroché aux murs de la classe des photos de chauffeurs de locomotive, à la figure noire de charbon. Il nous apprenait à réaliser un petit élevage de vers à soie ; voir ces chenilles grandir, puis se mettre à tisser leur cocon pour s’y enfermer et en sortir sous forme de papillon, tout cela me fascinait ! Il nous faisait suivre la germination des haricots secs que nous avions plantés dans des bocaux. Et chanter l’ « Hymne à la joie » : « Oh ! quel magnifique rêve vient illuminer mes yeux !... », non sans avoir insisté sur la fraternité entre tous les hommes. Une ou deux fois par semaine, pendant le dernier quart d’heure de classe, il nous lisait, dans un grand livre, le merveilleux voyage de Nils Holgerson, de Selma Lagerlöf, que je prenais pour une Arabe avec un prénom pareil ! Et à califourchon sur le dos de la Grande Oie, je traversais les étendues neigeuses de la Suède ...
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Education sanitaire !... Mon enfance a été marquée par la menace de la mort, toujours présente. Elle emportait souvent et surtout des enfants, chez des voisins, ou bien dans la famille proche. Loubna, la fille de Khédidja, était morte à dix-huit ans de tuberculose. Avant ma naissance, M’ma avait perdu deux petites filles, Fadhila, d’une diarrhée, et Khédidja, des suites d’une rougeole ; j’étais aussi né avec un jumeau qui s’appelait Ahmed et qui, lui aussi, avait été emporté par une rougeole alors que nous avions à peine onze mois. Si ni M’ma ni mon père ne parlaient d’enfants décédés, c’était parce que, lorsque l’on évoquait la mort, on l’appelait, ils craignaient qu’elle ne revienne. A chaque alerte, M’ma se précipitait chez le taleb qui lui recommandait cataplasmes et amulettes. Fatima, elle, n’était pas partisane de ces pratiques traditionnelles, et même se moquait parfois affectueusement de la crédulité de ma mère en lui disant qu’elle préférait l’ordonnance du médecin aux abracadabras obscurs du taleb. Mon père aussi préférait éviter les taleb, il faisait appel au docteur Bertrand, du petit village du bord du Rhumel. Ce médecin de campagne n’hésitait pas à faire un peu d’éducation sanitaire lorsqu’il arrivait à se faire comprendre, car il ne parlait pas arabe.
Je revois mon père répéter à M’ma les conseils du médecin en cas de diarrhée, je le revois lui expliquer les microbes et lui montrer la casserole en fer émaillé dans laquelle l’eau et le riz devaient bouillir. Et, comme le docteur avait recommandé de laisser l’eau bouillir pendant dix minutes, mon père en avait ajouté cinq pour que ça fasse un quart d’heure tout rond.
Mm ‘a, qui auparavant était elle-même prise de maux de ventre et de panique dés qu’un enfant était malade, finit par convenir que cette méthode était effectivement plus efficace que les amulettes. Des années après, elle répétait fièrement qu’à partir de ce jour, elle n’avait plus peur que la diarrhée lui emporte un enfant : maintenant elle savait ce qu’il fallait faire. « Que dieu bénisse le toubib Bitran [c’est ainsi qu’elle prononçait le nom de Bertrand] s’il est encore de ce monde » disait-elle chaque fois qu’elle parlait de lui.
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L’entrée en sixième. Le français n’était pas notre langue maternelle et les épreuves étaient, comme le Jugement Dernier, les mêmes pour tous. M. Lebrun [notre instituteur] ne nous avait pas caché que les deux épreuves de français, une dictée et un résumé d’une lecture de texte, pouvaient constituer pour nous un écueil difficile. Alors, pour nous donner toutes nos chances, il nous avait organisé des cours séparés, avait prévu des devoirs de français supplémentaires, et même il nous retenait en classe quelques temps après l’heure de sortie pour nous expliquer une règle de grammaire, pour finir de corriger une dictée. Il voulait que nous réussissions et il prenait avec nous tous les moyens pour que nous arrivions ...
Le jour de l’examen, quant nous nous sommes retrouvés avec mon père, sur le terre-plein surplombant les gorges du Rhumel, devant le grand portail du lycée d’Aumale de Constantine, au milieu d’un très grand nombre d’élèves candidats, de leurs maîtres et de leurs parents, j’était intimidé. J’avais presque peur, écrasé par cette nécessité de réussir. Il y avait beaucoup de robes d’été et de chapeaux à fleurs, beaucoup de costumes-cravates, beaucoup de chemisiers et de chemisettes aussi, mais très peu de gandouras et de burnous, de cela, je me souviens nettement ...
C’était au mois d’octobre 1949, le premier jour de la rentrée des classes au lycée. Nous étions, mon frère Hamdi et moi, à marcher aux cotés de mon père dans la rue la plus passante de Constantine, la rue Caraman, lorsqu’il a poussé la porte du plus grand atelier de photographie de la ville et, visiblement heureux aux anges, il nous a dit : « C’est un grand jour, nous allons en garder un souvenir ! ». Nous avons posé tous les trois : deux enfants d’une douzaine d’années encadrant un homme en costume traditionnel, ne portant pas sa cinquantaine, trois beaux regards, trois visages sérieux et sereins. Je garde encore précieusement cette photo et chaque fois que je la regarde, j’éprouve une émotion intense.
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Les deux mondes. Mais plus nous avancions vers la fin de notre adolescence, plus nous prenions conscience qu’il y avait « eux » et qu’il y avait « nous ». Et plus les contacts se faisaient difficiles. Lorsque nous eûmes pris conscience les uns et les autres que nous appartenions à deux mondes différents, mais inégaux, nos rapports changèrent de nature. Nous fréquentions les mêmes classes du lycée, nous vivions à coté les uns des autres, nous étions parfois camarades, rarement plus. Les timides rapprochements intercommunautaires étaient vécus comme des désertions, et condamnés comme telles par la vigilante censure des deux mondes.
Il y a bien eu de très solides amitiés qui ont résisté à l’usure du temps et à la violence de la tempête, mais elles étaient l’exception Elles n’ont pu exister et durer que parce que et l’un et l’autre, chacun de son coté, a su imposer cette amitié à son propre clan, non sans difficulté ou sans drame, souvent au prix de la rupture avec ceux des siens qui refusaient cette amitié. Il y eut bien, également, quelques Roméo et Juliette qui bravèrent non seulement des familles et des clans, mais les société elles-mêmes. Ils ont été rejetés avec une extrême violence, j’en connais des deux bords : leurs amours n’ont pu s’épanouir que loin de la colonie.
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1958. Soldat du contingent en Algérie. Un jour j’ai vu un véhicule 4X4 s’avancer et stopper au milieu des ruines. Quatre militaires en sont descendus, encadrant un homme en civil, grand et mince, tête nue, les mains menottées derrière le dos. L’homme hésitait à avancer, il jetait autour de lui des regards apeurés, cherchant peut-être des témoins. Une sentinelle armée l’a poussé doucement vers l’entrée de la bicoque. Il a regardé. Il a regardé encore furtivement derrière lui, puis il a redressé la tête, a embrassé du regard la lumière du soleil, l’azur de la mer avant de disparaître dans le local.
L’officier de renseignement (le DOP) fermait la marche. C’était un jeune lieutenant, moins de la trentaine, d’allure plutôt athlétique. Comme les autre occupants du 4X4 qui l’accompagnaient, il était bien sanglé dans son treillis et portait le large béret des chasseurs alpins. Un dossier sous le bras, il a ajusté son ceinturon, et est entré le dernier en refermant la porte derrière lui. Le silence était total dans les ruines de Tigzirt, n’était le bruit du ressac sur les flancs du quai.
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1964. Après l’indépendance. L’Ordre moral. Il faisait terriblement chaud, ce jour là dans l’aérogare de Dar El Beida, ma femme venait d’arriver de France et nous étions allés au bar, le plus normalement du monde, pour nous désaltérer. J’avais commandé une bière et ne l’avait pas encore entamée lorsqu’un agent de police m’a demandé mes papiers, puis m’a conduit devant son chef, le commissaire de l’aéroport. Je venais sans le savoir de commettre un crime : algérien, musulman, je m’apprêtais à boire une bière ! Le commissaire se fit tout à tour méprisant, puis menaçant : « Les pilotes de la terre entière savent qu’en survolant l’Algérie ils survolent une terre d’islam, ce que toi tu sembles ignorer ! » me fit-il. Je fus sidéré d’entendre ce langage chez un commissaire de police. Mais je fus retenu dans les locaux de la police jusqu’au petit matin ...
Ainsi, le pouvoir s’arrogeait désormais le droit de me commander ce en quoi il fallait croire et comment il fallait croire, en d’autres siècles et sous d’autres cieux, cela s’est appelé Inquisition – l’une des périodes les plus noires de l’humanité ! Etait-ce là les décisions les plus urgentes dont l’Algérie avait besoin pour combler son retard sur le monde développé ? Et pourquoi ne pas lapider le couple adultère, ne pas couper la main du voleur ? En toute logique cela devait suivre. C’était peut-être ainsi que le Efélène voyait la transformation profonde de la société.
Je ne pouvais pas m’empêcher de penser aussi que de telles décisions, populistes et démagogiques, étaient le sceau de l’illégitimité de ce régime, qui exploitait les sentiments religieux que le peuple avait à fleur de peau en lui faisant croire que la religion était en danger et que les lois qu’il prenait contre les mécréants de mon espèce étaient destinées à la sauver. Les dirigeants caressaient le peuple dans le sens du poil, pour se faire aimer de lui à défaut de s’en être fait élire.
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L’histoire officielle. Et pour inventer à l’Algérie sa propre histoire, comme une propagande au service de son projet de culpabiliser les partisans de la modernité, [le Efélène, le parti au pouvoir] prenait, de façon tout aussi schématique, le contre-pied de l’idéologie coloniale. Si, pour cette dernière, l’Algérie n’avait été prospère que romaine et chrétienne et qu’elle l’était redevenue avec la présence française, pour le Efélène c’était exactement l’inverse : l’Algérie n’avait été prospère qu’arabe et musulmane, et elle l’était redevenue depuis l’indépendance. Tout ce qui avait précédé l’avènement de l’islam : la judaïté de l’Aurés et de la Kahéna, le paganisme de Massinissa et Jugurtha, la chrétienté d’Aurélius et de Saint-Augustin, était passé sous silence maximum, comme s’il s’agissait d’une tare. Je crois que si les responsables « Islamo-Efelène » avaient pu, ils auraient enfoui sous dix mètres de terre toutes les ruines romaines, les restes des basiliques chrétiennes et autres vestiges antérieurs à l’islam…Quant au fait colonial, il n’avait pas eu le moindre impact sur la société : c’était une période honteuse, marquée seulement par la francisation et la perte de la foi, et qu’il fallait donc taire et rejeter au plus loin et au plus vite, de peur qu’elle ne perturbe les certitudes de nos valeurs arabes et islamiques. Avec une telle interprétation, la construction d’une société démocratique et moderne, assimilée à un retour à la société européenne de la période coloniale, ne pouvait être que suspecte ou même condamnable.
- Kouloun : prononciation littérale en arabe du mot « colons ».
- Gouer : nom donné par les indigènes algériens pour désigner les européens.
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